Récemment, dans le métro, j'ai assisté à une scène particulière. À côté de moi, 2 techniciens RATP discutaient ensemble, quand tout à coup j'ai senti que leur attitude changeait. J'ai tendu l'oreille, et j'ai compris qu'ils parlaient d'un petit groupe de pickpockets qui œuvrait un peu plus loin, et essayait de voler un touriste asiatique, utilisant comme diversion le fait de demander leur chemin, ce qui amenait le touriste à avoir, littéralement, la tête en l'air, afin de montrer sur le plan de la ligne de métro à quelle station le "jeune couple" devait descendre. Un des techniciens a décidé d'intervenir en prévenant le touriste qu'il était en train d'être victime d'un vol, ce qui a fait fuir le groupe de pickpockets.
Chose plus surprenante encore, j'ai assisté à l'exacte même situation le lendemain matin, sur une autre ligne de métro. Sauf que cette fois, il s'agissait d'une touriste américaine (vraisemblablement), et que c'est moi qui suis intervenu.
Mais une fois qu'il a été assez clair pour moi qu'il s'agissait bien de pickpockets, je me suis levé pour prévenir la touriste. En essayant de m'approcher suffisamment d'elle, j'ai été empêché par le bras du garçon du groupe des 4 pickpockets, qui tenait anormalement fortement la barre du métro, en réalité pour "sécuriser le chantier des opérations". J'ai alors pu néanmoins taper sur l'épaule de la touriste en tendant suffisamment le bras, attirer ainsi son attention, et lui répéter : "Pickpockets. Pickpockets. Pickpockets." Elle s'est retournée vers moi, alors qu'elle avait, elle aussi, la tête en l'air, littéralement, car la jeune fille qui devait vraisemblablement mener les travaux de diversion, tenait en effet un bout de papier avec une adresse dessus, qu'elle agitait devant les yeux de la touriste tout en montrant le plan de la ligne de métro affiché en hauteur, pour jouer son rôle de "touriste perdue dans Paris et qui demande de l'aide".
À la suite de ma perturbation du déroulé de leur plan, la troisième fille du groupe, qui avait enroulé son manteau au-dessus du sac ouvert de la touriste, et pouvait ainsi faire semblant de chercher quelque chose dedans, alors qu'elle dissimulait en réalité son bras qui traversait son vêtement pour mieux fouiller dans le sac de la victime, a fait semblant de trouver le portefeuille de la touriste américaine par terre, de le ramasser, et de le lui rendre.
Puis, avec la quatrième fille qui faisait le guet devant la porte du wagon, vraisemblablement pour aider à circonscrire la scène des opérations, le groupe de pickpockets est sorti dès la station suivante. La touriste a compris, progressivement, qu'elle venait d'être victime d'une tentative de vol, et m'a remercié.
Quels sont donc les enseignements que nous pourrions tirer de ces événements, pour le bénéfice des Entreprises et de leurs Dirigeants ?
Nous pourrions évidemment nous interroger sur la représentativité et la signification de la répétition de l'événement. Plus précisément, la question pourrait être la suivante : pouvons-nous déduire du cas particulier vécu, qui peut donner l'impression d'une "recrudescence de pickpockets", que cette augmentation est réelle ? Serait-ce causé, par exemple, par l'approche des JO à Paris ? Ou bien, est-ce un cas typique d'erreur cognitive qui tend à déduire incorrectement "du particulier vers le général", sur la base d'un vécu lui-même non-représentatif statistiquement ?
Mais ce sur quoi nous voudrions insister, de façon certes contre-intuitive, est plutôt que les entreprises, et leurs dirigeants, pourraient s'inspirer d'une forme d'Excellence opérationnelle du modèle conçu par ces pickpockets !
En effet, tout d'abord, leur "stratégie commerciale" et leur "ciblage clients" sont clairs et efficaces : ils visent des individus vraisemblablement étrangers, dans le métro, qui ont l'air de ne pas avoir suffisamment mis en sécurité leurs affaires.
Puis, ils ont mis au point un Modèle opérationnel performant, avec une répartition claire des Rôles et Responsabilités entre chacun des membres de l'équipe :
le garçon doit sécuriser le chantier des opérations (cf son bras "accroché" à la barre du métro) et participer à la diversion, en faisant partie du "couple perdu dans Paris et demandant son chemin ingénument" ;
la première fille doit mener l'opération de diversion, en agitant le papier avec "l'adresse de destination" devant les yeux de la cible / victime, en l'air, en lien avec le plan de la ligne du métro accroché près du plafond du wagon ;
la deuxième fille doit opérer le vol, en dissimulant les actions de sa main grâce à son manteau, tel un prestidigitateur ;
la troisième fille, et dernière membre de l'équipe, doit vraisemblablement faire le guet devant la porte du wagon, pour finir de circonscrire et protéger le champ des opérations, et probablement surveiller que la Police (ou équivalent) ne monte pas à ce moment-là dans la rame.
Enfin, ils bénéficient vraisemblablement de la courbe d'expérience liée à une stratégie claire, ici dite "de volume", et donc de "processisation" des opérations clés. En effet, ils semblent répéter et reproduire systématiquement le même scenario, ce qui les rend notamment plus efficaces. Mais aussi, dès qu'un problème survient (ici, c'était moi le problème), ils abandonnent facilement et à moindre coûts la "transaction" ; ils partent pour éviter un plus gros problème (la Police).
In fine, nous pourrions presque dire que c'est exactement similaire à ce qu'une entreprise devrait mettre en place :
Construire une stratégie commerciale claire, en particulier pour le ciblage clients ;
En déduire le Modèle opérationnel en conséquence ;
En déduire le modèle économique et transactionnel d'une part, et de Relation Client d'autre part, qui sont les plus adaptés.
Pour finir, mentionnons un dernier enseignement possible, intéressant en termes de compréhension des comportements des équipes en Entreprise, mais également des individus de façon générale. Une fois l'équipe des 4 pickpockets partie, la touriste s'est retournée vers moi et m'a demandé "So it was all fake?!..." : "donc TOUT était faux ?!..." Elle avait compris que la fille qui lui avait rendu son portefeuille avait en réalité essayé de le lui voler ; mais le "jeune couple qui demandait son chemin" faisait-il réellement partie de la même mise en scène ?... Oui ; malheureusement oui.
Mais, comme les spécialistes de l'engagement et de la manipulation nous l'enseignent, une fois engagé dans une cause ou un projet, il est très difficile de l'abandonner, de se remettre en cause ainsi que ses croyances premières, et d'accepter de s'être trompé initialement. Même malgré les nombreux démentis du Réel, qui se présentent à nous régulièrement. On le constate à de nombreuses occasions dans la société, ces dernières années ne faisant pas exception. Mais on le voit également beaucoup en entreprise : que ce soit lors des projets dits de "transformation" ; d'une "simple" mise en place d'un ERP ; ou encore d'opérations de M&A qui enflent et dérivent...
Il est très difficile pour une équipe, ou un décisionnaire, de s'arrêter une fois qu'elle est engagée dans un projet. C'est donc l'un des rôles clés de Dirigeant : garder suffisamment de hauteur et de distance pour pouvoir dire "STOP".
Mais il n'en demeure pas moins une certitude : la diversion est un art ; et il est très difficile d'y résister !...
Credit Photo : Richard
Excellent business case